San Siro naît de la volonté de Piero Pirelli, président du Milan AC, qui voulait offrir à son club une enceinte dédiée uniquement au football, sans piste d’athlétisme. L’architecte Ulisse Stacchini conçoit un stade fonctionnel, sobre, inauguré en 1926. Rapidement, les succès du club imposent des agrandissements : dans les années 1930 puis 1950, de nouvelles tribunes et des rampes hélicoïdales s’ajoutent pour fluidifier l’accès aux gradins supérieurs. En 1947, l’Inter Milan emménage à son tour : San Siro devient alors le théâtre d’une cohabitation unique, où deux clubs rivaux se partagent la même scène.
La véritable révolution en terme de design et d’architecture intervient à l’approche de la Coupe du monde 1990. Entre 1987 et 1990, les architectes Giancarlo Ragazzi et Enrico Hoffer, accompagnés de l’ingénieur Leo Finzi, repensent totalement le stade. Un troisième anneau de tribunes s’élève, soutenu par onze tours cylindriques en béton armé disposées à l’extérieur. Ces tours, ceintes de rampes en colimaçon, assurent à la fois l’accès du public et le soutien de l’immense toiture métallique. Ce choix constructif est plus qu’un geste technique : il donne au stade une allure brutaliste et monumentale. Les tours massives, associées aux poutres rouges géantes en treillis d’acier, dessinent une silhouette inimitable sur la skyline milanaise. Avec ses 68 mètres de haut San Siro s’impose comme le des stades les plus imposants d’Europe, bien plus haut que le Parc des Princes (48 m) ou le Santiago Bernabéu (45 m).




Certains y voient un château moderne, d’autres une « cathédrale de béton ». Son langage architectural mélange brutalisme, modernisme et références futuristes italiennes. Les rampes hélicoïdales créent l’illusion de ressorts géants, comme si l’édifice tout entier vibrait avec ses 80 000 spectateurs. Un stade pensé comme une sculpture vivante, où l’architecture elle-même participe à la dramaturgie du sport.
Assister à un match à San Siro, c’est vivre une expérience esthétique autant que sportive. Les tribunes, très proches du terrain, et le vaste toit qui retient le son, transforment chaque rencontre en une clameur assourdissante. Les soirs de Derby della Madonnina, la Curva Nord et la Curva Sud s’affrontent par tifos géants, chants et fumigènes, donnant au stade des airs de cirque antique ou de cathédrale populaire. Mais ce qui frappe le plus, c’est la manière dont l’architecture amplifie la ferveur. Les tours et les rampes, éclairées de nuit, deviennent des colonnes sacrées ; les gradins vertigineux enferment le public dans une bulle où le ballon rond semble posséder une magie propre. Les souvenirs se gravent ici avec une intensité particulière : Je me rappel de l’égalisation de Kaká lors du derby de 2004 ayant mené l’AC Milan au scudetto, les frappes d’Adriano sous le maillot de l’Inter, ou les exploits de Maldini, Van Basten, Zanetti… Comme si chaque action restait suspendue aux parois de béton.
San Siro a marqué l’histoire du football, mais aussi celle de l’architecture des stades. À contre-courant des arènes modernes standardisées, il incarne une vision où la monumentalité et le style comptent autant que la fonctionnalité. L’architecte Edwin Heathcote le résumait ainsi : « Peut-être un peu laid, mais extraordinaire. » Son génie réside précisément dans cet équilibre improbable : un patchwork de références: du rationalisme italien au brutaliste des années 1970, transcendé en une œuvre cohérente, immédiatement reconnaissable.
Il y a aussi une certaine nostalgie qui plane autour et dans le stade. Il a vieilli, c’est indéniable. Le projet de rénovation impliquant une démolition partielle en est la conséquence. Mais au-delà de son obsolescence, son grain semble être magiquement figé. Comme si les tribunes étaient restées bloquées dans les années 2000. Et d’ailleurs, le football milanais qui était dans des années dures il y a quelques saisons faisait d’autant plus ressentir ce sentiment.


Aujourd’hui, San Siro vit ses dernières années dans sa forme actuelle. Les deux clubs jugent l’enceinte inadaptée aux standards économiques et de confort modernes. Un nouveau stade doit voir le jour à l’horizon 2030. Le ministère italien de la Culture a autorisé la démolition partielle : environ 20 % de l’actuel Meazza sera préservé, notamment une portion des gradins qui pourrait devenir un musée ou un amphithéâtre à ciel ouvert.
La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver 2026 aura lieu à San Siro : ultime moment de gloire avant le début des travaux. Le géant de béton disparaîtra en partie, mais son héritage, lui, restera. Car San Siro n’est pas seulement une enceinte sportive : c’est une œuvre d’architecture qui a façonné la culture du football et l’imaginaire d’une ville entière.