« La banlieue, c'est des pâquerettes sur un tas d'fumier » disait Médine dans le morceau Grand Paris. Grandir dans l’adversité et la complexité financière pousse à l’ambition, à la création. Les milieux difficiles sont le berceau des génies créatifs. ‘La banlieue influence Paname, Paname influence le monde’. L’hymne du son semble avoir une résonance très pertinente d’après Pascal Monfort, directeur du cabinet REC trends marketing : « Aujourd’hui paris est plus que jamais la capitale de la mode et la mode est une industrie qui est très attentive à ce qu’il se passe dans les quartiers. En Asie, à New York etc. tout le monde est au fait de ce qui peut naître dans le 93. »
Dans un monde où la mode semble toujours avide de nouveauté, les cultures populaires deviennent des mines d'or incessamment exploitées par l’industrie. Cette dynamique n'est pas nouvelle. La mode s’est toujours nourrie des cultures alternatives. Mais ces styles, émanant souvent de milieux défavorisés, sont parmi les rares espaces d'expression authentique dans un monde où chaque tendance est pompée, surexploitée en y laissant paraître seulement son esthétisme et non ses valeurs culturelles profondes.
Une exploitation commerciale des cultures populaires
Des exemples de style qui viennent des quartiers de France, des États-Unis, d’Angleterre, il y en a à la pelle. On peut parler des cagoules, qui sont apparues avec la drill à Londres et à New York et qui sont maintenant reprises dans des styles bohémiens avec ces cagoules en laine portées par des femmes aisées. On peut aussi parler des sneakers qui sont désormais acceptés dans presque tous les milieux professionnels. Ou encore le sportswear avec les ensembles de survêtements qui ont été repris par toutes les marques de hautes coutures. Sauf que dans l’opinion publique un magrhrébin portant un ensemble de jogging c’est bien moins accepté qu’un blanc avec le même survêtement…
L’appropriation des codes de la banlieue et des quartiers défavorisés, il y en a une. En revanche, peut-on vraiment employer le terme d’appropriation culturelle? C’est lourd et avilissant. Sauf que l’appropriation culturelle survient lorsque les caractéristiques propres à une culture minoritaire sont converties en produits destinés à la consommation. Si on se base sur cette définition, a priori, on est clairement dedans. Marine Desnoue du média Yard dénonce le phénomène « Cela réduit une histoire et une identité à des codes esthétiques superficiels». Pour Pascal Monfort, c’est délicat de parler d’appropriation culturelle tant “la mode s’inspire de tout, de l’époque, de l’ère du temps, et va puiser différentes choses.” À partir de là, tout peut être approprié et rien ne nous empêchera de l’éviter. C’est disons plutôt un “détournement culturelle”. Cette volonté des créateurs d’adopter un style qui ne leur correspond pas semble pour le coup souvent inapproprié:
Ce phénomène est visible dans des cas comme le défilé de Chanel en 1991, où Karl Lagerfeld avait mis en scène dans une collection nommée “Hip-Hop” , des éléments ultras clichés dans son défilé (Casquette à l’envers, grosse chaîne en or…). La collection fut d’ailleurs très mal reçue par la presse, perçue comme peu authentique et superficielle. On peut aussi parler de la collection printemps-été de Marc Jacob en 2017 faisant apparaître sur scène des mannequins blanches coiffées de fausses dreadlocks. Mais ce n’est que des exemples parmi tant d'autres.
Ce sujet n’est pas propre qu’à l’univers fashion. Pleins de marques tentent souvent maladroitement d’utiliser les expressions à la mode dans leurs campagnes de communication s’adressant à des jeunes. Le capitalisme a depuis bien longtemps compris que le « cool » se vend bien. L'idée même de cool est définie par ce qu'elle contient d'arbitraire ; par le fait qu'une chose change et devienne subitement cool. C’est la pierre angulaire de la culture jeune, chercher à s’échapper de toute norme en se nourrissant des codes qui touchent à nos centres d'intérêt. Ils naissent généralement d’une incompréhension entre deux mondes. Prenons pour exemple les Punks. Le mouvement est né en Grande-Bretagne dans les années 80 sous le régime de Margaret Thatcher, dans un contexte de chômage croissant, de violence policière, de racisme. La complexité accrue du quotidien crée des contre-cultures (Sub-culture).
On voit la même dynamique aller dans le sens inverse. Lacoste s’était senti victime d’un succès à contre-pied, n’ayant pas anticipé une adoption identitaire de leurs gammes chez les jeunes de banlieue. La marque semblait assez réfractaire à l'idée que la marque soit associée aux jeunes de cité par peur de voir leur image “dévaloriser”. Ils ont essayé de dissocier leur image de cette association non désirée. Ils auraient limité la distribution de leurs produits dans certaines zones et auraient évité des campagnes de publicité qui pourraient attirer davantage cette clientèle, en vain. Cela n’a pas du tout empêché de faire du crocodile un emblème dans certaines communautés comme les “Lacosteiros” au brésil. Un mouvement porté par la funk des favelas de São Paulo et de Rio de Janeiro où tout le monde porte son petit polo croco. Paradoxalement, Lacoste célèbre désormais fièrement cette appartenance “Nous sommes fiers d'être une marque transversale qui va du camionneur au roi d'Espagne” disait le directeur exécutif de la marque, Jean-Claude Fauvet.
La propagande marketing n’a pas la mainmise sur toute la ligne. Le ‘cool’ apporte une valeur spontanément constructive pour l’image d’un logo. Mais avec le temps, le concept a été étudié dans un prisme commercial et a fini par être compris par des gens sans personnalité. Ainsi, les mouvements à contre-courant sont commercialisés, pressés de tous leurs jus, vidé de leurs sens et on en voit le résultat de manière assez directe. Il y a une dilution de l’identité subversive du streetwear, chaque pièce d’un outfit étant transformé en un simple accessoire de hype ou de ‘coolness’. « Je vois peu de créateurs avec une réelle sensibilité ‘street’ ou autre, c’est plus de l’ordre du fantasme. » Christelle Kocher, directrice créative de la marque Koché. On porte du streetwear plus pour ressembler à quelque chose, plutôt que pour revendiquer quelque chose. Cette exploitation commerciale de la tendance Streetwear a au final dénaturé le mouvement de son essence la plus profonde.
Les marques ont beau adopter les apparences des mecs de cité, employer nos expressions dans leurs campagnes publicitaires, elles ne portent aucun intérêt à nos vies ; elles se contentent plutôt de commercialiser nos styles auprès d'un marché lucratif. Est-ce que les influenceurs se soucient réellement de la culture des communautés minoritaires à New York, Paris ou Londres – villes d'où proviennent de nombreux créateurs dont ils arborent les créations ? Pas vraiment.
Dapper DanI don't want fashion to be dictated from the top, when the bottom gave birth to it.
Apportons un peu de nuance à l’analyse. La mode reste un levier de rayonnement des contre-cultures. Nous ne sommes pas non plus dans un film de science-fiction où les classes riches vivent dans un eldorado paradisiaque et les pauvres restent enfermés dans des bidonvilles. C’est important de rappeler la révolution culturelle apportée par le règne de Virgil Abloh chez Louis Vuitton. Il a fait briller le streetwear de la plus belle des manières et a permis à la street culture de briller mondialement. Il a tiré vers le haut des dizaines de créateurs, photographes et mannequins issus de milieu défavorisé. En inspirant et en redonnant confiance à des milliers de jeunes dans différents domaines, il est l’exemple que notre propre culture peut atteindre les sommets sans être exploitée à nos dépens par les grandes marques.
Souligner la valeur de nos génies créatifs
Des freins pour accéder aux rang des élites de la mode, il y en a trop. Des acteurs du milieu originaire des contre cultures il y en a peu. Le coup des formations des plus grandes écoles de mode, le manque d’inclusion sociale dans les rangs des grands groupes, les réseaux traditionnels et les héritages de prestige etc.
Il ne faut pas oublier pourtant qu’une multitude de grands couturiers, créateurs et directeurs artistiques viennent de milieux populaires. Gabrielle Chasnel (Chanel) Alexander Mcqueen, Ralph Lifschitz, (Ralph Lauren), Jean Paul Gaultier. Tous ces grands noms de la mode ont su apporter leur vision créative grâce à une compréhension de ces deux mondes opposés, en ayant baigné dans le milieu populaire dans leur jeunesse, et en ayant touché les sphères fermées de la haute couture. Des noms qui, sur le devant de la scène, façonnent une image de marque. Sous la lumière des projecteur, il y a un pourcentage de 41,3% de mannequins de couleur, lors des dernières fashion de Paris, Londres, New York et Milan (Vogue). Dans les coulisse, les conseils d'administration et dans les postes décisionnaires, les statistiques sont loin d’être aussi équilibré. Les contres cultures naissent dans une démarche pure, sans ambition financière, ce qui les rend authentiques. Ces milieux continueront d’inspirer d'inspirer globalement. Mais encore faut t’il les soutenir, les protéger localement avant qu'elles soient détournées de leurs fondements originelle. Il faut donner à chacun son dû et surtout attribuer le mérite là où il est dû.