« all rappers wanna be ballers, and all ballers wanna be rappers” , Rappeurs basketteurs, un métier différent, un destin commun. Ils occupent une place quasi similaire dans l’économie du spectacle nord-américaine. Stéréotypés mais admirés, critiqués mais influents. Les deux ont la capacité de transformer le rejet en adoration, poussant les hautes sphères de la mode à réviser leurs jugements à leurs propos. Deux activités distinctes, une culture commune.
Kanye WestsWent from most hated to the champion god flow/ I guess that’s a feeling only me and LeBron know


Le featuring entre ces deux mondes a permis à la NBA d’avoir une influence culturelle inégalée par les autres ligues sportives professionnelles. La fusion prend forme dans les tunnel fits, ces couloirs qu’empruntent les joueurs entre le parking et les vestiaires avant les matchs. Ce sont ces couloirs qui mettent en lumière l’incarnation de la culture urbaine par les joueurs, et qui mettent sur le devant de la scène les tendances vestimentaires nées principalement dans le rap. Un portail entre le monde underground de la street et le monde surmédiatisé des parquets de basket. La NBA est devenue au fil du temps une vitrine mondiale de la mode, faisant refléter le hip-hop et la street culture de la plus belle des manières. Il y a quelques années, personne n’aurait imaginé que les basketteurs allaient dégager l’aura que pouvait avoir un rappeur sur scène.
Et pourtant, la NBA, plus que les autres ligues sportives professionnelles, est devenue une institution influente dans le monde de la mode. Comment la culture Hip-Hop, dénigrée et jugée grossière par le grand public, a-t-elle été démocratisée par les joueurs au point d’en faire le style le plus porté et apprécié de nos jours?
L'origine
Ce n’est pas nouveau que les basketteurs soient des sapeurs. Leur physique hors-pair avec leur taille allongée en font naturellement des modèles particuliers. On pense notamment à Wilt Chamberlain, paix à son âme, ou Walt Frazier, avec tout deux des styles bien sophistiqué rappelant les folles années disco. Peut-être manquait-il encore un élément culturel pour les faire passer dans une autre dimension.

L'origine de la symbiose entre NBA et Street Culture peut être largement attribuée à Michael Jordan et son emblématique collaboration avec Nike. Le contrat de sponsoring de 2.5 millions de dollars en 1984 a jeté les bases d'une révolution culturelle, menant Jordan et ses sneakers comme l'un des plus grands symboles du Streetwear et de la culture Hip-Hop. Au delà du succès commerciale le schéma des collab à prédéfinis quelque chose qui se fait encore 40 ans plus tard entre marques et Athlètes.
https://www.instagram.com/sneakernews/reel/C6l-8Q-rBkV/
L’annonce du partenariat entre Nike et le rookie de 2023 Victor Wembanyama. Incluant une signature sneaker pour un contrat avoisinant les 100 millions de dollars.
En sois, Jordan reste un produit essentiellement marketing qui ne naît pas directement du Hip-Hop. Mais il faut mentionner la genèse de la jonction. Également réalisé que cela à contribué à des partenariats avec les marques autant pour le basket que pour le rap. Avec Jordan, Nike a ouvert un portail entre Street culture et NBA.
L’influence de Allen Iverson
Le portail a vite été emprunté par Allen Iverson, qui a été l’un des premiers à arriver sur les parquet avec les flows oversize et nonchalant qui rappelle celui d’un rappeur. Iverson a démocratisé des styles propres au bas-fond de la rue, comme porter des Timberland avec un jogging bien large.
C’était pour Allen une spontanéité naturelle de venir aux matchs avec une tenue qui lui correspondait: « la seule fois où j'ai su qu'il fallait porter un costume, c'était pour aller à l'église ou à un enterrement. Je n'ai jamais porté de costume sur un terrain de basket. En plus, après les matchs, j’avais envie d’aller en boîte ou au Fridays (Chaîne de fast-food). Ou est-ce que j’allais aller avec un costume? » Sportskeeda. Allen Iverson fut le symbole de la culture Hip-Hop en NBA. Il a popularisé le fait de s’habiller naturellement lors des apparitions publiques des joueurs. De sorte à se sentir soi-même et pleinement épanoui dans son jeu, dans son âme de baller.


Les sleeves d’Iverson, (ces gaines en nylon porté aux bras) apparus pour la première fois en 2001 à la suite d'une blessure au coude, sont devenus un élément emblématique de son style, qu'il a conservé tout au long de sa carrière. Ce simple accessoire s’est transformé en une tendance, à tel point qu’en 2015, environ 65% des joueurs NBA en portaient régulièrement. Iverson a également ouvert la voie à l’acceptation des tatouages dans la ligue : si avant lui, seul un joueur comme Dennis Rodman s’était fait remarquer par son corps largement tatoué, aujourd’hui près de 55% des basketteurs en sont ornés. Ses braids, aussi, un puissant symbole de l'identité afro-américaine, ont renforcé ses racines, et ont ouvert à l’affirmation culturelle de l’ensemble des joueurs.
La réforme de David Stern
L’air de rien, son impact a été tellement important qu'il a poussé les décisionnaires de la ligue à prendre des mesures sur le sujet. Il dit dans une interview avec Kevin Hart « une fois qu'ils ont vu que je venais en portant ce que je voulais et que je m'en sortais, et les autres gars se sont dit : 'Bon sang, s'il peut le faire, alors je peux le faire aussi'. C’est là que David Stern a dit non.
En 2005, le commissaire David Stern a imposé un dress-code, exigeant tous les joueurs à s’habiller en tenue d'affaires, dès lors qu’il représentait la NBA dans n’importe quel lieu. Parce qu’à cette époque, la ligue voit son image ternie dans les médias. La nouvelle génération arrive avec des codes très différents. Trop différents pour le grand public. Tatouages, chaîne en or, marcels, baggys… La ligue veut éradiquer cette image de « bad boy du Hood » qu'avaient les joueurs. Ils veulent des athlètes qui incarnent la discipline plutôt que des “rappeurs” qui évoquent la délinquance…

Pour appliquer cette réforme sérieusement, les joueurs pouvaient se voir écoper de lourdes amendes s'ils ne respectaient pas à lettre les règles du code vestimentaire. Et sur la saison 2005-2006, 13 joueurs ont payé 10 000$ d’amende pour des shorts qui devaient se porter pendant les matchs à 2,5 cm au-dessus du genou, pas moins. Une réforme très radicale et conservatrice.
Des joueurs comme Carmelo Anthony ou Iverson justement, ont ouvertement critiqué ça comme étant une volonté de censure de leurs identités culturelles. Intransigeante, la ligue a maintenu la nouvelle règle et les joueurs ont dû s'y adapter. Il y avait une volonté de remettre de l’ordre de manière général dû à des troubles de plus en plus fréquents (Bagarres, scandales de paris d’arbitres, grève de joueurs etc…).

Stern à voulu agir pour le bien de la ligue. Il n’a cependant pas échappé à de vives critiques. Une réaction excessive et perçue comme une tentative de conformer les joueurs noirs à des standards acceptables pour le grand public. (The New York Times)
Paradoxalement, la NBA s’est racheté une image plus vendeuse. Certes, les joueurs ont eu du mal à appliquer les règles et à s’habiller d’une manière qu'ils ne maîtrisaient pas. Bien que cette réforme ait entravé l'expression spontanée de leur style, elle a néanmoins établi des bases importantes. En les sortant de leurs zones de confort, la réforme de David Stern a mis au défi les joueurs. Elle leur a permis de réaliser qu’en plus du ballon, il y a avait un enjeu sur la scène stylistique.
Bien s'habiller, c’est comme bien jouer. Ça permet de se distinguer et de faire passer sa carrière dans une autre dimension, de pérenniser ses activités au-delà de ses seules performances sportives. C’est la réalité des conditions d’un sportif de haut niveau dont la carrière sur les terrains ne dure rarement plus de 15 ans.
Les marques de haute-couture ont commencé à collaborer avec les basketteurs qui ont progressivement adopté le dress-code à leur manière. Ce code vestimentaire a incité les joueurs à innover, créant ainsi une génération de basketteurs maîtrisant les codes vestimentaire pour mieux les transgresser. Plutôt que de simplement se fondre dans un cliché streetwear mal vu par les piliers de la haute couture, les joueurs de la NBA ont émergé en tant qu'icônes mondiales de la mode.

Mention honorable à Dwyane Wade qui a débuté sa carrière dans ce contexte. Il disait au magazine GQ “Allen Iverson était l’idole de ma génération, et ils ressemblait à un rappeur. Tous les jeunes joueurs voulaient s'habiller comme lui”. (GQ) Dwayne s’est pour le coup parfaitement approprié le dress-code à sa manière. Ayant toujours eu une sensibilité pour la mode et l’élégance, ces restrictions ne l’ont au contraire pas restreint dans ses outfits. Il est reconnu pour avoir popularisé le port de costume ajusté, combinant classe et motifs moderne et audacieux.


Puis, avec l'arrivée d’Adam Silver en tant que commissaire de la ligue en 2014, il y a eu une ouverture à plus de flexibilité et de dialogue avec les joueurs concernant leurs préoccupations. Silver a compris l'importance de permettre aux joueurs d'exprimer leur individualité et leur culture. Les critiques à la mise en place de la réforme de Stern étaient néanmoins légitimes. Les accusations de racisme institutionnel sont lourdes mais difficilement défendables. Des éléments de la culture noire ont été indirectement interdits, comme les tresses par exemple. Triste de voir qu’il a fallu conformer les joueurs pour devenir l’un des plus grands outils de soft power américain. La direction marketing a été prise, l’identité est restée. C’est donc pour ça que l’influence stylistique de la NBA a véritablement explosé ces dernières années.
Les Tunnels Fits, là où tout se passe
Le terrain d’expression de cette identité vestimentaire, ce sont les tunnels fit. Ils sont devenus un vrai défilé de mode personnel à chaque match. Un phénomène qui génère des contrats de sponsoring volumineux. A tel point que d'autres ligue sportive comme la NFL, les ligues de foot européennes ou même la F1 ont tenté de reproduire le modèle sans parvenir au même niveau d’influence que celui de la NBA. Les joueurs ont bien compris la valeur que peut leur apporter, lors d’un court instant, le passage entre le parking et le vestiaire.
Marcus Thuram révélait justement au magazine GQ son souhait de voir la tendance des tunnel fits arriver dans le foot “Notre tunnel fit aujourd’hui, c’est notre arrivée en sélection, là où tout le monde se met sur son 31”. C’est l’un des seuls moments où l’on peut arriver comme on veut vraiment et montrer ce qu’on aime porter.”
En ayant emprunté cette direction avant les autres, la NBA se distingue. Il y a 450 joueurs en NBA. D’après Ian Pierno, 30 seulement prenait la mode au sérieux il y a encore 5 ans. Des gars qui n’ont presque pas de temps de jeu, et apparaissent dernier dans les roasters, prennent désormais la mode très au sérieux. Elle est pour eux un catalyseur de carrière et est un moyen d’enrichir leur personal brand.



League Fit, la compétitions se joue dans les tenues
Avec les décisions de la ligue et la forte présence de la street culture incarné par les joueurs, viennent s’ajouter d’autres paramètres. Ce qui a grandement contribué au phénomène des Tunnels Fits en NBA, c’est aussi la page instagram @leaguefit , suivis par 1 millions de personnes. Ian Pierno, son fondateur souligne le changement radical de la NBA en dehors des parquets “ Il y a cinq ou six ans, les basketteurs n'allaient pas aux fashion weeks, à l'exception de Dwyane Wade et Russell Westbrook, mais c'était tout. Aujourd'hui, tout le monde y va, tous les joueurs sont à Paris, à Milan, et ça commence à se voir.”
A travers sa plateforme, @LeafueFit donc, a entre autres permis d’idolâtrer l'entrée des joueurs dans les arènes. Un système de récompense individuelle des joueurs les mieux habillés à même été créé sur le même modèle que les honneurs officiels, MVP All-NBA team (first, second, Third), Rookie of the year etc… On se rend compte à quel point les flow vestimentaires deviennent presque aussi important que le jeu, tant l’impact extra-sportif est avantageux pour les pros.
https://www.instagram.com/p/DKkf7eNR5_L/?img_index=1
Les Tunnel Fits sont devenus le tremplin pour des collaborations entre marque et basketteurs. Des marques comme Louis Vuitton, Elder Statesman, Fear of God ou Skims la marque de Kim K, ont saisi l'opportunité.
D’après l’étude annuelle du magazine Forbes, les montant moyens pour signer une collaboration avec une franchise de NBA sont de 2,5 milliards de dollars. Et ce chiffre ne freine pas les marques pour habiller les joueurs d’une équipe. Si celle-ci atteint les playoffs en fin de saison, c’est au moins 100 matchs ou les joueurs porteront des habits de la marque dans les tunnel fits. La ligue prévoit d’ailleurs de signer des nouveaux contrats de droits médiatiques pour la saison à venir. Les estimations voient ce chiffre s’augmenter à 5 milliards de dollars (Forbes).
Contextualiser pour donner une meilleure signification
Dans un prisme marketing en effet, les Tunnel Fits apportent au public une image séduisante. Si beaucoup de petites et grandes marques se servent de la NBA comme outil de propagande, c’est que l’effet escompté est bien desservi. Bien que des collaborations directes existent, d'autres marques ont une approche inverse. La marque Marni s’est vu être porté par des dizaines de joueurs ces dernières saisons. Au dernière nouvelles, aucun contrat de sponsoring n’a été établi. Mais les stylistes personnels engagés par les joueurs pour entretenir leurs personal brand, leurs conseils bien sur les pièces les plus hype du moment. (NSS Mag) Le joueur apparaît ainsi comme un client comme un autre, de la marque favorisant ainsi l'authenticité de la démarche.



C’est grâce à ce même aspect que les Tunnels Fits marchent aussi bien. Le Tunnel Fit représente l’art de recontextualiser un objet lui acquérant une nouvelle perception, une signification plus élevée. Les sapes sont mises en lumière par un lieux ou le sport, la culture Hip-Hop et la mode convergent, créant un nouveau récit sur la façon dont nous percevons le style et nous nous y engageons Le public n’aime pas qu’on lui vende un produit bêtement. Un certain capital sympathie se dégage des photos des Tunnel Fits.
Et puis, ces moment ou les joueurs défile dans les couloir, colle bien avec le niveau d’attention de notre ère. Plus qu’un défilé de mode officiel, ces tunnels reflètent cette tendance du défilement sur un rythme rapide d’un TikTok ou d’un Instagram.
Les Tunnel Fits représentent bien plus que de simples tenues ; ils sont le reflet d'une culture qui évolue, d'une mode qui se démocratise et devient un vecteur d'influence culturelle majeur. L'ailier des Wizards de Washington, Kyle Kuzma, l’a d’ailleurs souligné: “Les marques se rendent vraiment compte de l'importance des tunnels et de tout ce que nous faisons pour la société et la culture pop” Business of Fashion.