L’origine politique et sociologique derrière la tendance Brésil

C’est probablement la tendance mode la plus omniprésente ces dernières années. Des Adidas Samba, aux maillots de la Seleçao, en passant par les tongs Havaianas remises au goût du jour sur des silhouettes stylisées façon Y2K.

Pourquoi l’esthétique brésilienne s’impose-t-elle autant depuis 2-3 ans? Et surtout, pourquoi maintenant ?

Le contexte politique du pays comme origine

Le point de départ de cette trend, il est profondément politique. Entre 2019 et 2022, l’extrême droite brésilienne menée par Jair Bolsonaro impose une récupération très agressive des symboles patriotiques : le drapeau vert et jaune devient presque l’étendard exclusif de ses partisans, et la charte graphique de ses campagnes de communication.

Le maillot de la Seleção, bien que fierté nationale, devient presque gênant à porter dans les milieux populaires et artistiques, perçu comme le signe d’un camp idéologique. Il y a un rejet du maillot. C’est même le maillot third en bleu qui a connu une hausse de popularité.

Mais tout bascule à l’élection de Lula en 2023, qui marque une reconquête culturelle de l’identité brésilienne. La jeunesse, les artistes, les musiciens, les stylistes… se réapproprient ces symboles trop longtemps capturés. Le jaune, le vert, le bleu reviennent comme un cri de fierté, un besoin de reprendre possession de l’imaginaire collectif brésilien.

Donc la base de cette trend, elle est là. L’esthétique brésilienne des favelas, de Copacabana, etc., fait beaucoup fantasmer les Européens et les Américains, il faut le dire. Mais si les Brésiliens eux-mêmes mettent davantage en avant leurs couleurs, ça ne peut qu’aller en se démocratisant davantage. D’autant plus que le timing matche parfaitement avec l’esprit Y2K, dont l’esthétique brésilienne est intimement liée.

La mode occidentale s’emballe, de la rue à la haute couture

La suite, on la connaît : comme toute tendance à fort potentiel visuel, les marques et les influenceurs prennent le relais. Très vite, le délire Brésil dépasse les frontières. Après le retour au pouvoir de la gauche brésilienne et cette acceptation populaire des maillots, on a directement vu l’été suivant les plus grandes influenceuse se poster avec des crop-top ou maillot brésilien : Hailey Bieber, Rosalia, Emily Ratajkowsk, Tina Kunakey…. Une coïncidence assez frappante avec le contexte politique.

Du côté des grandes maisons de mode la palette brésilienne jaune-verte commence à être exploitée ,comme Rick Owens ou Diesel dans leurs collections printemps-été 2023. Mais il serait trop simple de résumer cette vague à une énième récupération d’un folklore lointain. Ce qui se joue ici, c’est un véritable basculement géoculturel.

Le Sud influence le Nord

Pendant longtemps, les influences culturelles circulaient en sens unique : de l’Occident vers le reste du monde. L’Europe et les États-Unis exportaient leurs normes, leurs esthétiques, leurs références.

Aujourd’hui, cette dynamique s’est inversée. L’exemple brésilien, bien qu’imparfait et ne prétendant pas incarner à lui seul l’ensemble du prisme géo-sociétal en question, offre un cas d’étude éclairant pour penser ce basculement des pôles d’influence culturelle. Les sociologues parlent aujourd’hui d’inversion de la mondialisation culturelle. Ce sont désormais les identités du Sud qui imprègnent l’imaginaire global.

La tendance Brésil illustre bien ce basculement. On n’est plus dans un folklore caricatural consommé à distance. Les symboles culturels d’un pays du Sud, maillot, palette chromatique, sonorités, codes visuelssont désormais intégrés, parfois repris, souvent stylisés. Certes, cette réappropriation passe encore majoritairement par des marques occidentales, mais elle s’opère avec un certain respect, et surtout une validation : ces codes ne sont plus moqués ni fétichisés. Ils sont perçus enfin comme des sources légitimes de style.

Exit l’exotisme, place à l’émancipation

Il faut se rappeler à quel point l’Occident a longtemps regardé les cultures du Sud avec condescendance. À travers les clichés, le fantasme, l’exotisme. On le voit dans les peintures orientalistes du XIXe siècle, où des artistes européens représentaient l’Afrique du Nord ou l’Asie selon les standards d’un imaginaire colonial : femmes lascives, décors inventés, scènes figées dans la paresse ou la sensualité.
Une esthétique construite non pas pour comprendre, mais pour dominer. Ce que l’on vit aujourd’hui, c’est un mouvement post-colonial qui remet en question cette domination symbolique. Les centres ne dictent plus. Les marges inspirent.Les capitales ne colonisent plus. Elles s’imprègnent.

La musique brésilienne contemporaine comme le funk carioca, le trap de São Paulo, ou des artistes comme Anitta, MC Kevin o Chris ou Pedro Sampaio, sont autant d’exemples d’un rayonnement nouveau. On les entend dans les clubs berlinois, dans les campagnes TikTok, ou en fond sonore des lookbooks de jeunes designers.

Les maillots brésiliens, les Adidas Samba, les casquettes vissées à l’envers, les tongs aux pieds — ce n’est pas qu’une esthétique, c’est un symbole. Un symbole d’un monde où les identités du Sud deviennent désirables, fières, assumées. L’Occident n’exporte plus uniquement sa mode : il importe des récits, des styles, des sonorités. Il n’a plus le monopole du cool.